Condamnation strasbourgeoise de l'accouchement anonyme à l'italienne

La requérante italienne avait été abandonnée à la naissance par sa mère biologique avant d'être adoptée. Après avoir manifesté, dès son plus jeune âge, le désir de connaître ses origines, elle a saisi les juridictions italiennes, sans succès, afin d'avoir accès à des informations sur sa mère biologique. Après avoir épuisé les voies de recours internes, elle s'est donc tournée vers la Cour européenne en alléguant que le secret de sa naissance et l'impossibilité qui en résultait pour elle de connaître ses origines constituaient une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 Conv. EDH. L'accouchement anonyme est-il conforme aux droits de l'homme ? La salve de décisions récemment rendues sur cette question nous montre que la réponse ne saurait être univoque, qu'elle dépend essentiellement du contenu des règles adoptées, mais peut-être aussi, plus accessoirement, de la juridiction saisie. Ce n'était pas la première fois que la Cour européenne avait à juger de la conformité de l'« accouchement sous X » au droit au respect de la vie privée et familiale. On se souvient que les juges strasbourgeois avaient estimé que le droit français n'y portait pas atteinte, en soulignant que la loi n° 2002-93 du 22 janv. 2002 s'était efforcée d'assurer équitablement la conciliation entre la protection du secret de la mère et la demande légitime de l'enfant concernant ses origines (CEDH, gr. ch., 13 févr. 2003, Odièvre c/ France, n° 42326/98, AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 739, et les obs. ; ibid. 1240, chron. B. Mallet-Bricout ; RDSS 2003. 219, note F. Monéger ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser ; ibid. 375, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2003. II. 10049, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; JCP 2003. I. 120, note Ph. Malaurie ; Dr. fam. 2003, comm. n° 53, note P. Murat). Sans surprise, le Conseil constitutionnel a également accordé un certificat de constitutionnalité à l'art. L. 222-6 CASF, qui organise la préservation de l'anonymat de la mère tout en prévoyant la possibilité, pour elle, de laisser des informations non identifiantes sur les origines de l'enfant, voire de lever le secret (Cons. const., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, AJDA 2012. 1036 ; AJ fam. 2012. 406, obs. F. Chénedé ; RDSS 2012. 750, note D. Roman ; RTD civ. 2012. 520, obs. J. Hauser). On peut toutefois se demander, en passant, et à la suite de Claire Neirinck, si la récente censure de l'art. L. 224-8 du même code, au motif qu'il n'assure pas la notification de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État aux personnes qui présentent un lien étroit avec lui (Cons. const., 27 juill. 2012, n° 2012-268 QPC, AJDA 2012. 1551 ; AJ fam. 2012. 454, obs. F. Eudier ; Dr. fam. 2012, comm. 143, note C. Neirinck), ne viendra pas compromettre l'efficacité de l'anonymat et donc l'avenir de l'accouchement sous X. Dans la décision commentée, le droit italien de l'accouchement anonyme n'a pas fait l'objet du même respect ou de la même indulgence de la part de la Cour européenne, qui prend soin de souligner, à la suite de la requérante, tout ce qui le sépare du système français : défaut d'accès à des informations non identifiantes, absence d'un organisme facilitant l'accès aux origines (CNAOP en France), possibilité pour la mère de lever l'anonymat. Par conséquent, selon les juges strasbourgeois, la législation italienne, à la différence de la législation française, « ne tente de ménager aucun équilibre entre les droits et les intérêts concurrents » en donnant une « préférence aveugle » aux droits de la mère à conserver son anonymat sur les droits de l'enfant à connaître ses origines. Ce ne serait donc pas le (mauvais) équilibre retenu mais l'absence de toute tentative de conciliation entre les intérêts en présence qui justifierait la condamnation de l'Italie. Apparaît peut-être alors l'un des critères justifiant, aux yeux de la Cour européenne, l'éviction de la marge d'appréciation des États, c'est-à-dire l'éviction des arbitrages démocratiques au profit de la préservation des libertés individuelles. Il restera toutefois à en convaincre les autorités nationales, juges des droits de l'homme compris, car, sur cette même question, la Cour constitutionnelle italienne avait jugé, dans une décision du 16 nov. 2005 évoquée par la Cour européenne, que l'impossibilité d'accéder aux informations concernant les origines était compatible avec la Constitution italienne... Par où l'on retrouve encore la spécificité et la difficulté du contrôle des lois au nom des droits de l'homme : permettant aux magistrats de juger de la légitimité de choix et arbitrages moraux et politiques, il ne faut guère s'étonner que ce contrôle puisse, de temps à autres, déboucher sur des contrariétés de jugement, c'est-à-dire sur des divergences d'appréciations, elles aussi, morales et politiques.

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