Quelle est l'efficacité du legs d'un prix de vente ?

La défunte avait institué, par un testament olographe datant de 1980, son neveu en qualité de légataire universel. Le 30 avr. 2002, elle a vendu un appartement et, le même jour, a souscrit un contrat d'assurance sur la vie portant sur la somme représentative du prix de vente en désignant son neveu comme bénéficiaire, lequel a accepté le bénéfice le 23 juill. 2003. Par un testament authentique du 25 août 2003, elle a légué à une maison de retraite « le prix de vente » de son appartement. Lors du règlement de sa succession, le centre d'action sociale de Pierrelatte, gestionnaire de la maison de retraite, a assigné le neveu pour obtenir la délivrance du legs du « prix de vente ». Par un arrêt du 22 janv. 2011, la Cour d'appel de Nîmes a débouté le centre d'action sociale aux motifs que, en utilisant le prix de vente pour souscrire un contrat d'assurance sur la vie dont le bénéfice avait été accepté, la défunte ne pouvait pas, une seconde fois, disposer de ce prix de vente par legs. Le legs du prix de vente d'un bien est-il privé d'efficacité dès lors que le testateur a employé son montant dans la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie ? La Haute juridiction y répond par la négative. Pour les Hauts magistrats, le legs du prix de vente d'un bien est un legs d'une somme d'argent. Or, un legs de deniers est un legs de chose de genre qui ne peut, enseigne-t-on, se trouver révoqué pour cause d'aliénation (Civ. 1re, 18 nov. 1986, n° 84-14.793, Bull. civ. I, n° 273 ; M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. V, par A. Trasbot et Y. Loussouarn, LGDJ, 1957, n° 713, p. 889 ; J. Flour et H. Souleau, Les libéralités, Armand Colin, 1982, n° 247). En effet, à la différence du légataire de corps certain qui acquiert de plano la propriété de l'objet légué, le légataire de choses de genre devient simplement créancier de la succession, le transfert de propriété étant subordonné au paiement. Le legs de choses de genre demeure ainsi valable alors même que le testateur ne laisse à sa mort aucune quantité de la chose léguée ; simplement, il incombe aux successeurs universels d'en fournir le paiement. À suivre ce raisonnement, le legs d'une somme d'argent n'est donc pas un legs de la chose d'autrui, prohibé par l'art. 1021 c. civ., de sorte que son bénéficiaire peut en demander la délivrance conformément à l'art. 1014 c. civ. Aussi bien, en l'espèce, le transport des deniers représentatifs du prix de vente dans la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie n'était-il pas un obstacle à l'efficacité du legs. À cet égard, si la décision a été rendue sous l'empire de l'ancien art. L. 132-9 c. assur., elle conserve néanmoins toute sa valeur malgré la modification de cet article, opérée par la loi n° 2007-1775 du 17 déc. 2007. Cette décision soulève deux questions. En premier lieu, on peut s'interroger sur l'objet du legs litigieux. Léguer « le prix de vente » d'un bien, est-ce vraiment léguer les deniers qui représentent ce prix ? N'est-ce pas plutôt léguer la créance de prix ? Sans doute, en l'espèce, le legs avait-il pour objet la somme d'argent représentative du prix de vente. Car, au jour de la confection du testament, la créance de prix avait déjà été payée à la testatrice et les deniers remployés dans la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie. Mais, si l'on fait abstraction des circonstances particulières de la présente décision, la question de la détermination de l'objet du legs d'un « prix de vente » demeure importante. On ne saurait assimiler, en effet, le legs d'une créance d'une somme d'argent au legs de deniers : alors que le legs d'une créance est un legs de corps certain, le legs de deniers est un legs de choses de genre. De là, il suit que le régime juridique est, en principe, différent. C'est ainsi qu'en vertu de l'art. 1038 c. civ. le legs d'une créance devrait être révoqué par suite de la cession de la créance et que, selon l'art. 1042, il devrait être caduc en raison du paiement de la créance. En réalité, ces solutions de principe méritent d'être nuancées. Il importe, nous semble-t-il, de bien identifier de quelle manière la créance a été léguée. Dans cette optique, une distinction s'impose selon que la créance léguée est comprise comme un bien déterminé ou seulement comme une valeur : - Si c'est la créance elle-même contre tel débiteur désigné, on doit considérer que sa mutation ou son paiement emportent révocation. À moins que le testateur ait entendu que le legs fût reporté sur un nouveau bien acquis en remplacement, qui se trouverait ainsi subrogé à la créance. - Il doit en être autrement s'il est reconnu que le legs a pour objet, non pas la créance, mais sa valeur. Dans ce cas, la désignation de la créance n'a pour objectif que d'indiquer le montant du legs, de sorte que son recouvrement ou sa mobilisation ne devraient avoir aucune incidence sur l'efficacité du legs. À moins que l'intention du testateur soit contraire : soit, lors de la confection du testament, en subordonnant, par exemple, le maintien de son intention libérale à la présence dans sa succession de fonds disponibles sur des comptes bancaires d'un montant équivalent à la valeur de la créance ; soit, lors de l'aliénation de la créance, en étant animé d'une volonté révocatoire (M. Grimaldi, Libéralités - Partages d'ascendants, Litec, 2000, n° 1500). En second lieu, on peut s'interroger sur la portée de la solution. Si le legs d'une somme d'argent a pour effet de rendre le légataire créancier de la succession, il n'en demeure pas moins que l'efficacité de ce legs n'est pas totalement assurée. D'une part, cette efficacité doit s'apprécier par rapport à l'intention du testateur, lequel peut, lors de l'utilisation des deniers, avoir été animé d'une intention révocatoire (V., en ce sens, Rouen, 31 mars 1835 et 3 déc. 1846, D. 1847. 2. 163 ; F. Terré et Y. Lequette, Les successions - Les libéralités, Dalloz, 1997, n° 402 ; M. Grimaldi, Libéralités - Partages d'ascendant, préc.). Faute d'une manifestation révocatoire expresse, il s'agit là d'interpréter la volonté du testateur, ce qui repose le plus souvent sur les circonstances de l'affaire. D'autre part, la loi du 23 juin 2006 a opportunément redonné sa vigueur à l'adage nemo liberalis nisi liberatus : le testateur ne peut faire des legs qu'à concurrence des biens disponibles. Ainsi, revenant sur une jurisprudence séculaire (Civ., 1er août 1904, D. 1904. 1. 513), le législateur de 2006 a cantonné à l'actif net successoral l'obligation de l'héritier acceptant pur et simple de payer les legs de sommes d'argent (C. civ., art. 785, al. 2). C'est dire que le legs de deniers n'est efficace que dans la mesure où l'actif net successoral le permet.

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