La procédure d'adoption confrontée aux exigences du procès équitable

Après avoir obtenu, auprès des services sociaux portugais, l'agrément nécessaire pour adopter un enfant, les requérants furent informés de l'existence d'une possibilité d'adoption concrète. Toutefois, quelques mois plus tard, les services sociaux leur précisèrent qu'ils ne correspondaient pas au profil nécessaire pour l'adoption de cet enfant. Les requérants attaquèrent cette décision et l'affaire fut renvoyée devant le Tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. L'enfant fut alors placé dans une autre famille en vue de son adoption. Les requérants saisirent la CEDH sur le fondement de l'art. 6 § 1 en invoquant le non-respect des exigences du procès équitable, tant au regard de la durée de la procédure, que de l'absence de communication de toutes les pièces du dossier. Si elle s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence foisonnante de la CEDH concernant les exigences du procès équitable, cette décision intéresse quant à son appréciation des circonstances de la cause. Dans un premier temps, la Cour statue sur la durée de la procédure et rappelle la pertinence du critère de l'enjeu du litige pour l'appréciation du délai raisonnable (CEDH 29 mars 1989, Bock c/ All., req. 11118/84). Si, au vu de la durée globale de la procédure (deux ans et deux mois), le caractère raisonnable du délai pouvait se discuter, l'enjeu humain évident de la procédure d'adoption devait ici conduire les autorités judiciaires portugaises à un comportement particulièrement diligent. La Cour prononce donc la violation de l'art. 6 Conv. EDH. Dans un second temps, la Cour examine le caractère équitable de la procédure. Consacré par les juges européens comme une émanation du droit à un procès équitable, le principe du contradictoire implique pour les parties « le droit de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge [...] en vue d'influencer sa décision » (not. CEDH, 20 févr. 1996, n° 19075/91, Vermeulen c/ Belgique, D. 1997. 208, obs. N. Fricero ; AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; RTD civ. 1996. 1028, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 1997. 992, obs. R. Perrot ; ibid. 1006, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 1997. 373, note F. Benoît-Rohmer). La Cour revient ici sur le champ d'application et la portée de ce principe. Tout d'abord, la Cour rappelle que, s'il s'applique entre les parties, le principe du contradictoire concerne également les rapports entre les parties et la juridiction (CEDH, 18 févr. 1997, Nideröst-Huber c/ Suisse, n° 18990/91, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss). En l'espèce, le placement de l'enfant dans une autre famille en vue de son adoption avait été prononcé par le tribunal de Loures pendant que celui de Lisbonne statuait sur le recours des requérants concernant leur inaptitude à adopter cet enfant. Ces derniers demandèrent alors que cette première décision soit transmise au tribunal de Lisbonne, mais leur demande fut rejetée en raison du caractère secret des dossiers relatifs au placement de l'enfant. Les requérants apprirent, par la suite, que la décision demandée avait finalement été communiquée au tribunal, lequel avait pu la prendre en considération pour rendre son jugement. L'information avait donc été transmise au tribunal, sans être notifiée aux requérants. La Cour estime ici que le principe du contradictoire avait vocation à s'appliquer et qu'il n'a pas été respecté. La Cour considère ensuite que la connaissance tardive d'une pièce est assimilable à un défaut de communication. En effet, selon la définition classique de la Cour, le principe du contradictoire implique « le droit de se voir communiquer » une pièce. Or, en l'espèce, les requérants ont bien eu accès à l'information, mais de manière tardive, puisque le tribunal avait déjà statué sur le bien-fondé de leur demande. Pour la Cour, le couple aurait dû avoir l'opportunité de prendre connaissance de la pièce pour en examiner la pertinence de l'utiliser dans la procédure. La Cour européenne revient également sur la portée du principe du contradictoire. Elle rappelle que ce principe implique que les parties aient pu discuter de tout élément soumis au juge et ajoute que c'est aux seules parties qu'il revient d'apprécier si un document appelle des commentaires (CEDH 18 févr. 1997, préc.). En l'espèce, le fait que le tribunal ait affirmé que l'information n'avait eu aucune influence sur l'issue de l'affaire est donc sans incidence. La Cour souligne qu'« il y va de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l'assurance d'avoir pu s'exprimer sur toute pièce au dossier (§ 52) ». La non-communication d'une pièce et l'impossibilité de la discuter sont donc incompatibles avec les exigences du principe du contradictoire. Néanmoins, la Cour européenne tolère parfois une exception : l'hypothèse dans laquelle la pièce « n'aurait eu aucune incidence sur l'issue du litige » (CEDH, 15 juin 2004, Stepinska c/ France, req. n° 1814/02). Cette exception est, en l'espèce, écartée par la Cour qui relève que le tribunal de Lisbonne, après avoir reconnu qu'il était « important » de savoir si l'enfant en cause avait été confié à une autre famille, a lui-même décidé qu'il fallait inviter les services sociaux à verser au dossier copie de la décision de placement de l'enfant. Pour les juges de Strasbourg, cette affirmation démontre que l'information pouvait avoir une incidence sur l'issue du litige ; elle aurait, par conséquent, dû être communiquée aux parties. En définitive, la Cour européenne rappelle dans cet arrêt que les exigences du principe du contradictoire et, plus généralement, celles du procès équitable, en ce qu'elles poursuivent l'objectif de la confiance des justiciables, impliquent des garanties de transparence de la justice. Or, cette transparence passe par la possibilité pour les parties de s'exprimer sur toutes les pièces du dossier. La limitation de la portée du principe du contradictoire par le critère de l'incidence de l'information sur la solution du litige doit demeurer une exception.

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