L'absence de circonstance particulière n'empêche pas la délégation-partage

Après plusieurs années de vie commune, un couple de femmes a conclu un pacte civil de solidarité et a mené à bien un projet parental commun. Selon de nombreux témoignages, la partenaire de la mère biologique de l'enfant joue un rôle prépondérant dans la vie de la fillette et participe activement à son éducation. Pour légaliser cette situation, la mère biologique a sollicité auprès du juge aux affaires familiales une délégation d'autorité parentale au bénéfice de sa compagne. Une telle décision ne surprend guère. Elle s'inscrit dans une lignée jurisprudentielle très favorable à la délégation-partage au sein d'un couple homosexuel. Tout d'abord, c'est la Cour de cassation qui reconnaît la possibilité de prononcer une délégation partage au sein d'un couple homosexuel, mais elle ne le fait qu'à la condition de démontrer que les circonstances l'exigent et que la mesure soit conforme à l'intérêt de l'enfant (Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090, D. 2006. 897, et les obs., note D. Vigneau ; ibid. 876, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2006. 159, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 578, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 297, obs. J. Hauser. Ce peut être le cas en raison des fréquents déplacements professionnels de la mère). Puis, au fil des décisions, les juridictions du fond ont affiné leur raisonnement n'exigeant plus qu'il soit rapporté la démonstration d'une indisponibilité de la mère (V. C. Mécary, Délégation-partage de l'autorité parentale au sein d'un couple homosexuel : évolution jurisprudentielle, AJ fam. 2011. 604). Les tribunaux et la Cour d'appel de Paris en particulier se contentaient d'affirmer que le fait que l'enfant soit élevé dans un contexte homoparental et n'ait de filiation établie qu'à l'égard de sa mère constituait des circonstances qui justifiaient que la délégation d'autorité parentale soit prononcée (V. les décisions citées par Me Mécary, Paris, 16 juin 2011, RG n° 10/22338 ; Paris, 20 oct. 2011, RG n° 11/04042 ; Paris, 20 oct. 2011, RG n° 10/11743 ; TGI Nanterre, 30 août 2011, RG n° 11/04363 ; TGI Paris, 18 sept. 2009, RG n° 09/34715, AJ fam. 2009. 490, obs. F. Chénedé). Autrement dit, les circonstances n'avaient plus besoin d'être vraiment particulières. Plus récemment, les magistrats se sont affranchis de la qualification de circonstances particulières, ne justifiant la mesure qu'à travers l'intérêt des enfants (Paris, 1er déc. 2011, n° 11/06495, D. 2012. 1432, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 146, obs. C. Siffrein-Blanc ; TGI Bayonne, 26 oct. 2011, n° 11/00950, D. 2012. 2267, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2011. 604 ; ibid. 605, obs. A. Mirkovic ; RTD civ. 2012. 111, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2011, comm. 179, obs. C. Neirinck). La décision ci-dessus rapportée va plus loin puisqu'en affirmant que, « bien que les requérantes ne justifient pas d'un empêchement particulier de la mère dans l'exercice de ses fonctions parentales, il est de l'intérêt de Dakota que sa situation juridique soit en adéquation avec sa situation affective et matérielle », elle admet explicitement que l'absence de circonstances particulières n'empêche pas le prononcé de la mesure dès lors que l'intérêt de l'enfant justifie son prononcé. Ces décisions, favorablement perçues en ce qu'elles constituent des avancées dans la reconnaissance des liens d'homoparentalité, n'en constituent pas moins des entorses aux conditions fixées par le législateur. Les circonstances particulières sont écartées et l'intérêt de l'enfant est affirmé d'une manière totalement abstraite. En effet, le juge ne s'interroge pas sur l'intérêt de l'enfant concerné, en raisonnant en fonction de son âge, de son degré de maturité, de son sexe ou encore son ressenti. Il s'attache seulement aux qualités des partenaires, à leur implication dans la vie et l'éducation de l'enfant sans relever en quoi la délégation permettrait à l'enfant d'avoir de meilleures conditions de vie et une meilleure protection (V. les propos critiques tenus par A. Mirkovic, L'intérêt de l'enfant au service des revendications des personnes de même sexe, AJ fam., 2011. 605. L'auteur relève qu'à défaut de circonstances particulières le partage de l'autorité parentale n'intervient pas dans l'intérêt de l'enfant puisqu'il ne présente en réalité aucune utilité. - V. égal. les propos critiques C. Neirinck, obs. ss TGI Bayonne, 26 oct. 2011, op. cit.). La décision rapportée est révélatrice de cette volonté d'user de la technique de la délégation-partage pour donner aux familles homoparentales une reconnaissance juridique qu'elles se voient refuser sur le plan de la filiation. Et ce faisant, les juges rendent des décisions symboliques qui mettent en péril le sens juridique des institutions familiales. Aussi, est-il peut-être temps que l'on s'interroge sur une véritable autonomie de la délégation-partage par rapport à la délégation classique, d'en renforcer son régime pour assurer un véritable lien réciproque entre l'enfant et son parent social homosexuel, si l'on veut maintenir l'interdiction de l'adoption.

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