Le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage

Deux époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Pendant la durée du mariage, le mari emploie des deniers personnels pour financer non seulement l'acquisition d'immeubles personnels à son épouse, mais également l'acquisition d'un immeuble indivis entre les époux. Leur divorce est prononcé. Dans le cadre des opérations de règlement de leurs intérêts patrimoniaux, l'épouse est condamnée à verser à son ex-mari plusieurs sommes sur le fondement des règles applicables aux créances entre époux. Un pourvoi en cassation est formé. Devant la première Chambre civile de la Cour de cassation, l'épouse soutient tout d'abord que les créances et les dettes des époux doivent entrer dans un compte et être incluses dans les opérations de partage, ce qui exclut que l'un des époux puisse être condamné envers l'autre à un paiement correspondant au montant d'une créance. Elle prétend également que son ex-mari, qui avait employé ses deniers personnels pour financer l'acquisition d'un immeuble indivis, ne pouvait prétendre qu'à une indemnité à l'encontre de l'indivision évaluée selon les modalités prévues par l'art. 815-13 c. civ. Les créances entre époux sont soumises à un régime juridique bien particulier, composé de règles issues tantôt du droit commun des obligations, tantôt du droit spécial des régimes matrimoniaux (P. Hilt, Les créances au sein du couple : des créances ordinaires ?, AJ fam. 2006. 231). Le présent arrêt illustre parfaitement cette réalité. Ainsi, s'agissant de leur évaluation, les créances entre époux sont soumises aux règles de calcul des récompenses, peu importe que les époux soient mariés sous un régime communautaire (C. civ., art. 1479, al. 2) ou séparatiste (C. civ., art. 1543). Partant, le montant d'une telle créance est toujours égal au profit subsistant, apprécié au jour du remboursement de la dette (C. civ., art. 1469, al. 1er). Dans la présente affaire, ce principe a été bien compris par la Cour d'appel de Versailles qui l'a appliqué à la créance de M. X envers Mme Y au titre des sommes qu'il a payées pour financer partiellement l'acquisition de la part indivise de celle-ci dans l'immeuble situé à Saint-Pair-sur-Mer. Pourtant, sur ce point, sa décision a été cassée par la première Chambre civile. La raison est simple : pour que puisse s'appliquer les modes d'évaluation des récompenses, encore faut-il qu'existe une véritable créance entre époux, ce qui ne fut pas le cas en l'espèce. En effet, comme le soulève très justement la Haute juridiction, la participation du mari au financement de l'acquisition d'un immeuble indivis entre les époux a donné naissance non à une créance entre époux mais à une créance entre le mari et l'indivision qui s'était créée entre eux, ce qui change tout ! Techniquement, en l'absence de créance entre époux, la somme due au mari ne pouvait pas être évaluée en prenant en considération le profit subsistant, mais devait l'être nécessairement par application du droit commun de l'indivision et, plus précisément, de l'art. 815-13 c. civ. S'agissant ensuite de leur règlement, les créances entre époux sont soumises cette fois-ci au droit commun des obligations. Elles doivent donc être réglées isolément, les unes après les autres. C'est dire, en d'autres termes, que de telles créances ne se fondent pas dans un compte global, lequel serait soumis à compensation et dont seul le solde donnerait lieu à règlement. Par ailleurs, contrairement aux récompenses, elles ne peuvent donner lieu qu'à un paiement, jamais à un prélèvement, ce qu'interdit expressément l'art. 1479, al. 1er, c. civ. Dans la présente affaire, l'épouse avait soutenu le contraire. En guise de réponse, la Cour de cassation s'est empressée de rappeler que le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage, faisant ainsi échec à toute velléité de prélèvement. Encore une fois, seule la voie du paiement est possible. Certes, un paiement en nature est envisageable, mais, conformément au droit commun, celui-ci supposera un accord et constituera juridiquement non un prélèvement mais une dation en paiement.

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